Extrême urgence
(Texte : Jean-Claude Mazaire)
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  Les radios l'avaient annoncé très tard dans la soirée
La terre avait pourtant beaucoup tremblé ces derniers temps
Mais personne n'osait exprimer sa frayeur
Tout le monde avait peur d'avoir peur
Mais ce soir les radios diffusaient la nouvelle
Le monde périrait dans quelques heures à peine

PANIQUE !

Le Monde a peur
Peur, peur
Il va mourir ce soir
Le Monde court
Se bouscule
S'agite
Le Monde vit
Enfin
Il ne lui reste
Que quelques heures
Que faire ?
Il n'y a plus rien
Rien à faire
Le Monde quitte son travail
Le Monde rentre chez soi
Mais pour quoi faire ?
Il n'y a plus rien non plus
A faire
Chez soi

Le Monde est égal
A lui-même
Enfin !
C'est à dire
A rien

Empereurs, Rois
Présidents, Ministres
Préfets, Magistrats
PDG, Banquiers
Commerçants, Ouvriers
Militaires, Flics
Terroristes, Patriotes
Riches, Miséreux
Vieux, Jeunes
De gauche, De droite
Du centre, De rien
Amis, Ennemis
Vous n'êtes plus rien
De tout cela
Vous n'êtes plus
Qu'un Monde qui a peur
Peur, peur
Que faire ?
Il n'y a rien
Rien à faire
Le Monde se tait
Soudain
Pour écouter
La Terre
Qui tremble
Sous ses pieds
Et le Monde
Soudain
Reconnaît dans ces bruits
Les cris de tous ceux-là
Qu'il n'avait pas compris
Angoisse
Malheur
Humiliation
Répression
Identité
Et le Monde comprend
Et il baisse les yeux
Et le Monde a honte
Enfin
Mais trop tard
Et à nouveau
Le Monde crie
Le Monde pleure
Le Monde a peur
Peur, peur
Que faire ?
Il n'y a plus rien
Rien à faire
Le Monde prie
Le Monde confesse
Et les églises s'affaissent
Amen
Que faire ?
Il n'y a rien
Rien à faire
La fille s'est arrêtée
Sur le trottoir d'en face
Que cherches-tu ?
Elle m'a vu
De l'autre côté de la rue
Il n'y avait aucun effroi sur son visage
Plutôt une expression d'indifférence
Peut-être même un vague air de bonheur

J'ai traversé la rue
Dont le bitume commençait à se fissurer
Par endroits
Je lui ai dit : "Viens, nous n'avons pas beaucoup de temps."
Elle m'a suivi en silence le long des rues

A la sortie de la ville
Nous nous sommes arrêtés
Jusqu'au panneau indicateur
La route était crevassée
Il fallait faire très attention
Pour ne pas tomber dans les trous
Mais après
On aurait dit
Que la fureur de la Terre
S'était arrêtée là
Les champs avaient toujours le même aspect
De VIE

La fille a regardé le sol
Le bitume commençait à craquer au-delà du panneau
Elle m'a pris la main
"Vite !"

Je me suis retourné
Il ne restait rien de la ville

Nous avons couru côte à côte
Sur la route encore intacte

Le ciel avait pris une couleur pas ordinaire
Un bleu pur
Sans nuage
Bizarre !
Ou peut-être était-ce là
Sa vraie couleur
De toutes façons
Ca n'avait plus d'importance

La fille m'a mené
Au hasard
Jusqu'à un endroit
Que je n'avais jamais remarqué
En passant sur la route

Elle s'est allongée
Et je l'ai imitée

Au-dessus de nos têtes
Coulait un mince filet d'eau
Nous avons bu longuement

L'eau avait un drôle de goût
On aurait dit
De l'eau de vie
Etrange !
Mais peut-être était-ce là
Son goût normal
De toutes façons
Ca n'avait plus aucune importance

La fille s'est assise lentement
Elle a tourné la tête vers moi
Elle souriait sans qu'aucun trait de son visage ne bouge
Bizarre !
Mais peut-être était-ce là
La vraie façon de sourire

Elle est restée ainsi un long moment
Puis elle m'a dit sans ouvrir les lèvres :
"Viens, nous n'avons plus beaucoup de temps."

 
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